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Midgard State

18 février 2007

la suite cachée du blog midgard-state preque née.

Victime certes d'une longue période d'inactivité, midgard-state n'est pourtant pas mort (même si on dirait que si, mais en fait non). Un premier projet de site est né (midgard-hills), courant 2006 sans finalement se concrétiser. Puis fin 2006 un nouveau projet de site web axé sur le RPG, le manga, l'animation, la Bande dessinnée voit le jour; et cette fois-ci le projet prend réellement forme à force de sueur, de passion et de réflexion.

SAVEPOINT.fr est donc né ou presque: vous pouvez déjà voir en ligne sa page de présentation et sa ligne éditoriale, avec le zoli design de sire killy, qui revient avec sa plume plus en verve  que jamais. Dès le 21 février, vous pourrez le découvrir dans sa première version fonctionnelle (avec un joli forum et un joli design SVP), je ne manquerais pas de rajouter un papier ici ce jour là.


http://www.savepoint.fr

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7 janvier 2006

Une presque histoire de violence

histaffPoussant le message véhiculé par l’image dans des retranchements que l’on pourrait qualifier de par delà le bien et le mal, Cronenberg cherche sempiternellement la perte, la dissolution dans un doute coupable. Comment de fait appréhender ses messages, saisir l’importance de son questionnement ? Doit-on se laisser aller à une lecture séparée de ses artifices ou bien se plonger dans le ressenti ? Voilà la réelle difficulté qui se pose lors de l’expérience A History Of Violence, hésitant entre mise en abîme ironique et vacuité désarmante. S’ouvrant sur un long plan séquence fascinant, le film du réalisateur canadien pose avec tact une sorte de voile pesant, habile mise en place d’une tension opaque qui ne demande qu’à éclater. Néanmoins, et malgré l’arrivé impromptu d’un indice sanglant quant au futur propos, cet état de paix trompeur s’étire au gré de la description de la vie de Tom Stall. Père de famille typique et quelque peu désabusé, ce dernier se contente de sa sphère familiale passionnée transpercée de journées de travail joyeusement mornes. Un amas de certitudes pleines qui éclate bruyamment lors de l’entrée en scène de deux tueurs particulièrement sauvages décidés à empiéter sur la tranquillité de Tom. Exécutant froidement cette double menace avec une maîtrise dérangeante, le serveur apathique devient rapidement un super héros local auréolé d’un respect construit de toutes pièces par les médias. Projeté malgré lui dans une dimension créatrice de personnalité il va dès lors appartenir à sa popularité et subir les conséquences de son accès de fureur. C’est en ce sens que A History Of Violence opère sa première percée dans sa critique insolente du mode de vie américain placée sur deux axes, à savoir la banalisation de la violence et la conservation d’un idéal de vie sociale par tous les moyens. Visages décharnés et inhumains se succèdent au gré de gros plans hurlant leurs propres relents macabres et chirurgicaux. Un souci de démonstration trébuchante, malsaine émane de ces flashes coups de poing , qui ne peuvent pourtant pas se résumer à la fascination de Cronenberg pour la chair et la monstruosité dans l’humain. Le ridicule fait également partie de ce bal mortuaire, relayé par la galerie édifiante de figures animées maladroitement d’articulations peu fiables et de spasmes grotesques. Jusqu’au cliché assumé de l’homme mystérieux à la cicatrice et l’œil de verre, incarné ici par un Ed Harris au calme imposant.

histbarSourd combat d’un père désireux de sauvegarder ses acquis, le film projette en toile de fond le témoignage clair d’une société fondée sur une histoire violente. Jouant sur les mots entre la vision littérale de son titre et sa forme plus éloignée pour les spectateurs francophones (A History Of Violence est une expression signifiant un passé trouble), le réalisateur dévoile une construction de la quiétude sociétale nécessitant le recours à une forme de brutalité. Celle-ci marquant par là même au fer rouge l’édification de la nation américaine. Le recours à la violence est ici vu comme une rencontre difficilement évitable, voire liée à la fatalité, perdant du coup un possible aspect séduisant. Chaque acte marqué par ce sceau bestial apporte des conséquences peu enviables, aboutissant à un rejet, une peur, une perte. Cronenberg découpe des arabesques noires et blanches, bonnes et mauvaises dépassant la légitimation de l’acte combatif pour en faire une constante au creux d’une vie ne l’empêchant pas de se recréer de manière bancale. La scène finale peut de fait se voir comme l’aboutissement désiré d‘une cavalcade meurtrière, juste mais souffrant d’un manque de conviction. Cette soumission au destin distillée à travers la dualité du personnage principal reste l’une des constantes de l’œuvre du cinéaste apparaissant surtout dans La Mouche dans l’irréversibilité tristement terrifiante baignant le film, doublée ici du sentiment de reproduction inconscient, quasi génétique de cette fascination. Un glissement ténu vers le fantastique qui ne s’aventure au final que dans un cul-de-sac émotionnel et narratif, laissant de côté un fils déviant pour cheminer sur les voies peut-être plus réflexives de l’influence du récit médiatique sur le rapport à la violence, rendue secondaire, risible, voire indépendante de toute situation.

histmortrnPlus que le héros, la notion de l’héroïsme est questionnée par le passé jeté au visage de Tom. Déambulant au cœur même d’une coexistence interne, le père de famille interpelle, brise l’identification première du spectateur pour révéler un statut déstabilisant et déclencheur du basculement. Déjà ébauché sans réelle intelligence dans Incassable, le fantasme vicié du super héros prend tout son sens dans A History Of Violence, dénué d’artifices étouffant et de lourdes symboliques. Tom se découvre, retrouve sa nature dans une mutation esquissée lestement au détour d’une scène magistrale, brassant des sentiments mêlés de peur et de respect imposé à l’humain en tant qu’être. La monstruosité s’étend brutalement, recouvre les limites physiques et psychologiques de l’homme sans bruit ni transition. Une cassure nette, organique, ponctuée de magnifiques plans serrés sur une fenêtre constellée de mouches, cherchant le cadavre d’un personnage désormais disparu. La violence semble planer, se poser au gré de symboles christiques expiatoires sortant de volutes d’ombre dans une fureur rude face à laquelle Cronenberg refuse de détourner le regard. Pourtant, sous cette croûte rugueuse et passionnante se dissimule une simplicité totalement désarmante. Laissant s’enrouler jusqu’à l’essoufflement un scénario sans relief autour de dialogues étonnants de banalité, A History Of Violence semble désirer se couper de toute communication avec le spectateur.

Malgré une idée de départ forte et une démonstration stupéfiante de maîtrise au niveau de la réalisation, le film peine à « emporter » le public avec lui. Saisissant, certes, captivant peut-être, il reste tout de même très extérieur, se moquant des tentatives désespérées de décryptage actif. Dépositaire d’une « seconde partie » (le voyage à Philadelphie) perdant en quelques scènes la saleté fascinante et angoissante pour la remplacer par un passage éclair à travers un mur de répliques insignifiantes et de non-dits assez pesants et prévisibles, le film de Cronenberg se perd dans sa propre sobriété de fond. Une œuvre schizophrénique se dessine alors petit à petit, nous laissant face à ce même questionnement : Une complaisance dans la facilité avec comme justification intellectuelle de possibles pistes masquées s’adressant à une réflexion qui n’a peut-être pas lieu d’être ou bien une plongée démoniaque et tétanisante dans une critique acerbe de sa propre existence et de la société ? La réponse est sans doute dans cette espèce d’incapacité à avoir su concevoir un récit « acteur ». A History Of Violence est un film surprenant, terrifiant, parfois génial mais qui ne parvient pas à trouver des bases suffisantes pour faire tenir son propos labyrinthique, auréolé de carences de construction profondes.


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13 avril 2005

Big Brother is watching you forever

sans_titre_1_copie  Récemment, le monde du divertissement vidéoludique a été soumis à une véritable atteinte à son intégrité même et par delà cet épisode, à celle de ses utilisateurs. Tout a commencé avec un projet du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs, alias le SELL, permettant soi-disant de lutter contre le piratage de produits multimédia à vocation de divertissement pour la plupart. Ce dernier, dans sa volonté visiblement sans mesure d’afficher un statut de grand ordonnateur imposant des choix et des moyens de répression disproportionnés, décide d’inclure dans chaque logiciel une sorte de pisteur permettant de remonter jusqu'à la personne en faute tout en la fichant dans une base de données interne afin de se constituer une sorte de fichier de "pirates". Un moyen de "filature" qui pourrait d'ailleurs s'étendre dans le cas des utilisateurs de Peer to Peer qui seraient immédiatement listés dès leur entrée sur l'un ou l'autre des serveurs permettant ces échanges de données, qui n'ont rien d'illégaux dans l'absolu. Ce projet est donc actuellement en pourparlers et ne requiert donc plus que l'aval de la CNIL pour rentrer en vigueur, espérons-le au regard de tous, et non pas sous le couvert des congés estivaux, comme ce fut le cas en 2004. Mais avant de poursuivre, une explication s'impose sur ce qu'est la CNIL, son statut, ses pouvoirs et l'origine de sa création. Ce que l'on peut dire pour introduire ce petit historique, c'est que les liaisons entre informatique, liberté et égalité n'ont pas été toujours en accord avec les droits de l'homme à une propriété personnelle et équivalente. En fait, la gestation de la CNIL fait suite à un projet instauré par le gouvernement français en 1974, et nommé (sans doute ironiquement) SAFARI, pour Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus.

Le Ministère de l'Intérieur, alors dirigé par Jacques Chirac, souhaite en résumé créer un identifiant général, commun, et unique, dans le but de permettre une connexion parfaite entre l'ensemble des informations administratives au sein d'un fichier central. Un projet, qui sous des airs de simplification du traitement des fiches personnelles, cache une atteinte clairement définie au droit à la personne de disposer d'elle-même. En effet, l'identifiant unique précité, prendrait la forme du numéro NIR (ou INSEE), garantissant selon les dires de l'époque, un total anonymat dans l'approche à l'administration. Dans l'absolu, ce système aurait pu fonctionner convenablement, et amenuiser le temps d'examen d'un dossier, si seulement ce chiffre n'était pas soumis à une telle transparence. Effectivement, il est relativement aisé de déduire de ce dernier l'état civil d'une personne donnée et d'avoir ainsi accès à des renseignements privés permettant d'une part des recoupements dommageables entre les diverses instances de l'Etat (fiches d'impôts, du Ministère du travail, etc...), et d'autre part un fichage des citoyens malsain et forcément réducteur. Les vives réactions face à cette proposition de fonctionnement décolèrent en fait plus de la mémoire encore fraîche de fais historiques détestables que d'une réelle compréhension de fond de ce que ce dernier impliquait concrètement. De nombreuses personnes se souvenaient de l'utilisation imposante d'un système de "regroupement" similaire dans les rangs de la Gestapo, et de la façon détournée mise en place durant la Seconde Guerre Mondiale en rapport avec le NIR, devenant l'outil principal de recherche des familles juives de France.

Le projet fut donc avorté, et donna naissance à la CNIL, oeuvrant dans le sens de la loi Informatique et Liberté, ratifiée en 1978 et garantissant les citoyens contre une main-mise totale de l'Etat sur des informations à caractère privé. De plus, cette loi posa les bases de l'obligation pour  les fichiers policiers à transiter par la CNIL, afin que cette instance opère une vérification des données contenues dans ces derniers, dans le but d'empêcher toute utilisation d'un fichage via le NIR, et d'éviter une atteinte flagrante au droit à la liberté. Véritable pierre de voûte d'un système de renseignement moins agressif, cette loi va se voir modifiée par quelques amendement décidés en 1981. Mais avant de poursuivre cette réflexion il demeure bon de signaler que la loi de 1978 ne s’applique qu’aux interventions de l’Etat, qui ne peuvent être mise en place qu’après le vote d’une loi ou d’un acte réglementaire. Les autres traitements ne nécessitent qu’une seule déclaration. Donc, via les adjonctions de 1981 (votées par le Conseil de L’Europe et nommées sous l’appellation de directive 108), la loi de 1978 se voit évoluer dans trois domaines précis. Tout d’abord, le traitement des données peut désormais s’effectuer non seulement sur les fichiers publics, mais aussi sur ceux privés. Deuxièmement, elle autorise la circulation de ces mêmes données au sein des contrées signataires, dans la limite de celles respectueuses des Droits de l’Homme, et troisièmement elle permet le transfert de ces fiches au-delà de la communauté européenne, selon les restrictions évoquées ci-dessus, si tant est que les pays en question ratifient la loi.

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Une expansion intéressante de la législation de ce fait, qui permet d’entreprendre une attention avisée et respectueuse des données personnelles de chaque citoyen des nations en accord avec ce principe. Une grande instance internationale garante d’un droit au regard des personnes sur leur statut au sein de la société. Néanmoins, les moyens de communication ne cessent d’évoluer et prennent maintenant une forme quasi-incontrôlable pour l’époque, et surtout laissant bien en arrière la loi de 1978, peu armée pour lutter contre l’apparition des groupes commerciaux dans le jeu du stockage des données personnelles. Via l’instrumentalisation d’Internet, ces derniers peuvent réunir très aisément la description plus ou moins précise de chaque individu, simplement en regroupant les « fiches d’identité » remplies sur de nombreux sites marchands ou dépendant d’organismes  fort immergés dans la connaissance poussée de leurs visiteurs, voire clients dans le cas précédent. On se trouve alors rapidement devant une sorte de vide juridique, aboutissant à une collecte sans vergogne d’une sorte d’état des lieux général et au niveau de l’homme en lui-même encore d’actualité ces temps-ci. Comment supporter cette angoisse d’un anonymat impossible et d’une implication forcée au sein d’une société à laquelle le degré d’adhérence est plus ou moins poussé ? Comment accepter d’être contacté par des organismes sans jamais avoir eu de contact direct avec ces derniers, donnant lieu à une paranoïa du mercantilisme actif, et par extension à une espèce d’impuissance a posteriori ? Comment se sortir d’une toile où chaque action d’une volonté personnelle de participation se meut en une arborescence d’entraves invisibles et inconscientes ? Un début de réponse fut donné en 1995 avec une nouvelle évolution de la loi de 1978, désormais obsolète.

Cette directive permet en résumé de remettre d’actualité la mise en place du flux trans-européen des fichiers tout en y apposant une législation commune et l’application d’un droit national. Toutefois, cette directive, contrairement à la précédente, ne s’applique qu’à l’UE, et les pays membres se voient dans l’obligation d’appliquer cette législation au sein de la leur propre, dans un délai de trois ans maximum. Ce qui ne sera pas du tout le cas en France, loin de là. Par ailleurs, et maintenant que la création de la CNIL en elle-même est légèrement éclairci, il reste à admirer son évolution, ou plutôt la lente décrépitude de ses pouvoirs. En effet, d’instance de contrôle et de sécurité de la personne, elle va se muer en un simple contrôleur sans poids à opposer. En 1998 donc, le gouvernement français charge Guy Braibant de construire un rapport sur l’application de la législation au niveau national, qui sera rendu au début du printemps de la même année, tout en sachant que le délai maximal de transposition s’avère d’ors et déjà dépassé. Faisant fi des restrictions européennes, la France (qui se verra menacer de graves sanctions par la Commission Européenne) mettra à la vu de tous ce projet en 1999, lors d’une université d’été où se trouvait Lionel Jospin, qui se nommera Loi sur la Société de l’Information. Spécialement destinée au transit des informations sur le net, cette dernière traite également du problème des données individuelles en souhaitant en augmenter la protection. Tout le monde pouvait de ce fait penser à l’apparition, enfin, de la directive de 1995 au sein de la légalisation française. Dans le même ordre d’idées, le premier ministre annonça la prochaine émission de cette loi, acte nécessaire à une compréhension globale des intérêts qu’elle véhicule.

Effectivement, il demeure logique d’avoir connaissance de modifications profondes dans le droit d’un tiers à disposer des  ressources personnelles d’autrui. Pouvoir appréhender les limitations et la nature des données prélevées, ainsi que les possibilités d’accès à ses propres fichiers. Entre parenthèse, cela reste encore relativement paradoxal de devoir formuler ce genre de propos, impliquant une dissimulation de bribes d’une existence propre et que (cela s’entend) l’on vit en ce moment même. Demander d’accéder à une partie de nous-même, dans une sorte de réflexion interne externalisée, se rapprochant d’une sorte de schizophrénie  matérielle. Réellement troublant et particulièrement pervers, dans un constat de main-mise sur une identité que l’on croit personnelle. Pourtant rien de très clair ne fut divulgué de ce projet de loi. Pire, alors que des discussions s’engageaient entre des associations et des instances de l’Etat sur la forme et le fond, en survol, du simple plan, le texte fondateur se trouvait déjà dans les bureaux du premier ministre. Certaines priorités y étaient  même déjà discutées. En 2000, un second avant-projet de loi est mis en forme, controversé par des associations montrant du doigt l’un des principes de la loi mettant davantage en avant le contrôle a posteriori du traitement à la place d’une déclaration préalable. Une espèce de : « On verra quand ça sera fait, et on essaiera d’y remédier si on peut et si on a le temps », pour caricaturer. Le 18 Juillet 2001, le projet de loi final se voit présenté devant le Conseil des Ministres, soit trois années après la limite légale de transposition demandée par le Conseil Européen, et adopté. Mais c’est à partir de Juillet 2004, que cette législation va connaître son remaniement le plus surprenant.

Pour résumer et jusqu’à maintenant, chaque fichier administratif quel qu’il soit était soumis à une vérification de la CNIL, qui était chargé de donner, ou non, son aval en rapport avec ce que contenait ce dernier. A ce moment précis, seul un décret, en accord toujours avec la CNIL , pouvait outrepasser cette limitation. On se trouvait donc face à un instance forte et obligatoirement consultée. Mais désormais, l’accès à un fichier ne sera dépendant que d’une déclaration, sans passage forcé par la CNIL, même si cette dernière aura toujours le dernier mot concernant des sujets relatifs aux origines raciales, aux opinions religieuses, etc… Un pouvoir de paille, quand on s’aperçoit que cette ultime vérification peut se voir annihiler par les données dites de « souveraineté nationale ». Ces dernières regroupent en fait tout ce qui a trait à la sécurité de l’Etat, à la défense, ou au numéro NIR. De même elles incluent les fichiers portant sur la quasi totalité de la population (fichiers généraux). On peut donc facilement inclure des obédiences religieuses dans ce créneau, surtout après le 11 Septembre, raciales pour une raison analogue, et jouer sur les termes pour s’approprier aisément les renseignements souhaités. Surtout que ces quelques bribes de vie ne sont de ce fait pas concernés par les restrictions de la CNIL et s’avèrent seulement soumises à un droit de déclaration de celle-ci. L’organe de vérification et de garantie de la liberté et de l’égalité devient donc un observateur qui n’a le droit que de crier son indignation sans être entendu.

D’autre part, celui-ci perd dans la foulée la capacité de, je cite : « permettre à la CNIL d’ordonner la destruction de traitements » logiquement en infraction vis à vis de la loi. Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser un gouvernement à rendre si poreuse un grand office de réglementation ? Le fichier policier STIC n’y est pas étranger. Système de Traitement des Infractions Constatées, ce dernier a été « «légalisé » et rendu public à la surprise générale il y a peu de temps. Déjà en place depuis quelques années, celui-ci comprend une trace de chaque personne qui s’est vu un jour signalée aux services de police, et considérée à partir de cet instant comme accusé potentiel. Ces données présentent de nombreuses et honteuses atteintes aux droits de l’homme et du citoyen, et en priorité la présomption d’innocence. De même, le droit à la réhabilitation semble sur une pente plus que glissante. Comment fonder une société si son nom figure dans ce registre froid et peu réflexif ? On se trouve du coup face à un immense problème de fichage sauvage et quasiment autoritaire, qui  a d’ailleurs aboutit à une tentative de légalisation discrète afin de ne pas trop faire de remous dans une opinion générale qui commençait à émettre de grandes réserves. Un essai de mise en conformité tellement laborieux, que la France s’est vue dans l’obligation intéressée de modifier un « «tant soit peu » la CNIL, afin de ne pas trop interférer avec cette petite « chasse gardée » que représente le fichier STIC.

On pouvait de ce fait se dire que, comme évoqué plus en amont, que la nouvelle attribution de la CNIL concernant sa consultation obligatoire dans le cas des « fichiers sensibles » ou comportant des données « relatives aux infractions ou aux condamnations » pourrait museler le fichier STIC, mais c’était sans prendre en compte les données de « sûreté nationale » et portant encore une fois sur la quasi totalité de la population. Supprimer « l’exigence d’une autorisation de la CNIL pour les traitements portant sur la totalité ou de la quasi-totalité de la population, le critère quantitatif n’apparaissant pas pertinent pour apprécier la dangerosité d’un traitement ». Le STIC fonctionne donc désormais sans aucune limitation des instances affiliées à cette tâche et peut continuer à puiser dans son stock de données périmées et gangrenées par des erreurs et des fiches obsolètes . En effet, devant la demande toujours plus importante de consultation des fichiers policiers, la CNIL a pu, à partir de 2002, se rendre compte que 37 % des fichiers STIC s’avéraient erronés, ou pire, non justifiés. Les suspects, victimes (effarant), et accusés sont donc intégrés dans ce marasme à destination de la police, de la gendarmerie, des Renseignements Généraux, etc… En gros 10 % de la population pourrait être fichée. La CNIL perd donc ses pouvoirs et se voit contrainte à regarder avec dépit la mise en place de fichiers d’ « auteurs présumés d'infraction ». Et comme par hasard, la nouvelle loi informatique et liberté donne un délai de 6 ans (donc jusqu’en 2010) aux instances judiciaires pour remettre à jour leurs fichiers afin qu’ils deviennent tout de même « adéquats, pertinents, exacts, complets et, si nécessaire, mis à jour ». Reste à savoir si ensuite, la surveillance et le contrôle seront suffisants pour permettre de vérifier la bonne tenue de ces derniers. Mais ce que l’on peut retenir de ce constat, c’est que outre le fait de classer, sans aucun respect des droits fondamentaux de l’être humain en général, la majeure partie de la population, il apparaît un côté arbitraire quasiment total autorisant les incompréhensions les plus coupables et une sorte de main basse sur la qualité de vie de chacun. Pour l’exemple, même certains régimes totalitaires n’ont pas un accès aussi déséquilibré et obscur d’une part et aussi systématique d’autre part. Je ne souhaite pas expérimenter une attaque directe et non fondée, juste mettre à la vue d’un intérêt commun l’espèce de mauvaise foi inhérente à cette manière de fonctionner. Entreprendre la collecte « masquée » de fichiers personnels et ne pas en vérifier la véracité forme un tout dont chacune des parties dépasse les limitations imposées par le droit de la personne à disposer d’elle-même dans un contexte sociétal donné. En retirant la prise en main d’une partie de soi ou du moins de son image incluse dans le groupe, on annihile la circulation libre et désenclavée. Ce qui s’apparente à une forme de surveillance active, ayant du mal à coller avec le principe même de la démocratie.

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Pour en revenir à l’évolution de la Loi Informatique et Liberté, que j’ai évoqué en amont, il faut se rendre au 15 Juillet 2004, date à laquelle est présenté un nouveau projet de loi, recentrant les nouvelles activités de la CNIL, et de la législation sur le traitement des données en général. En substance, la « rénovation » concerne une certaine impunité de l’Etat face aux possibles exactions commises par ce dernier à l’encontre des principes même de liberté et d’égalité, au travers du fichage relativement systématique des données personnelles.  D’autre part, elle permet de mettre en place l’accession à l’ensemble des fichiers impliquant une majeure partie de la population, à l’image de la carte d’identité électronique, tout en autorisant la protection des fichiers policiers (jusqu’en 2010 donc), et en masquant le fait que certains sont tout bonnement inacceptables législativement parlant. Pour tenter de justifier cette déchéance des principes premiers de la loi, la France a tout bonnement évoqué le fait que ce projet n’était autre que la transposition de la loi de 1995 au niveau national, qui revêt de ce fait une aura d’obligation. Une excuse judicieuse, allant, dans la forme, vers le sens décidé par le Conseil Européen. Néanmoins, je n’évoque que le côté impératif d’application de la directive, et non pas de ce qu’elle contient, jamais évoqué dans le projet de 1995. De ce fait, le gouvernement français passe outre le fait qu’il aurait été logique de faire coïncider la loi de 1995 au niveau européen avec celles de 1999 et 2001, ce qui semblait pourtant le cas. Celui-ci s’est donc servi de la non-application de la directive de 95 pour la réinsérer dans un plan bancal d’un point de vue démocratique, le rendant ainsi assurément envisageable, à la vue du retard conséquent qu’avait déjà pris la transposition, à savoir pratiquement 7 ans. La volonté de mettre à jour a empiété sur la réflexion attentive du fond. Mais que fait la CNIL pour tenter d’enrayer ces pratiques ?

Et bien pas grand chose. Non que la volonté soit mise en défaut, mais les possibilités d’actions s’avèrent tout d’un coup plus que réduites. En effet, ce même projet de loi de juillet 2005, modifie de façon drastique les pouvoirs de la CNIL. En bref, et je citerais les mots mêmes du rapport du sénateur Alex Türk (dont j’expliquerais la fonction ci-après) qui se révèlent suffisamment évocateurs et compréhensibles. Tout d’abord, et dans les principes premiers, il est plus qu’important de permettre un fichage de « présumés suspects » par les organisations privées, à l’image de ceux de la Police : «[…] autorisé les entreprises à constituer des traitements sur les infractions dont elles ont été victimes ». Ensuite, et fort logiquement, on observe une suppression nette et précise du droit de regard légitime de la CNIL sur les données en infraction avec le code pénal : « […] supprimé la possibilité de permettre à la CNIL d’ordonner la destruction de traitements ». D’autre part, et comme évoqué tout au long de ce texte, la CNIL se voit retirer la possibilités d’interférer sur les fichiers de masse, comme l’utilisation du NIR ou des renseignements policiers en général, et ne peut plus déclencher de poursuites si l’Etat venait à enfreindre les principes d’utilisation de ces derniers. Pour continuer dans les limitations de la CNIL, cette dernière n’aura plus le droit de permettre, ou non, « les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l’Etat et portant sur des données biométriques nécessaires à l’authentification et au contrôle de l’identité des personnes ». On ne sait donc pas dans quelle mesure ces données seront justifiées et si elles iront rejoindre le bouquet contenant les fichiers policiers et « sociaux ». De plus, et dans la continuité de l’interdiction à la CNIL de s’occuper des fichiers intéressant la sûreté national, celle-ci se voit amputer le droit de regard sur le fait que les données émanant de la Police et de la Gendarmerie « puissent être transmises à des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou à des services de police étrangers présentant un niveau de protection suffisant de la vie privée et des droits fondamentaux ».  Devant un tel désastre et un tel musellement, il est légitime d’essayer de comprendre la cause d’un tel remaniement. La réponse se trouve en la personne d’Alex Türk, qui se place d’un côté en tant que rapporteur de cette loi au Sénat, et de l’autre en tant que directeur de la CNIL. On peut donc observer que ce Sénateur Divers Droite du Nord, occupe une place pouvant favoriser une mise en place bien plus efficace d’un projet de loi tel que celui qu’il propose. Sans trop s’avancer, il est même assez évident que cette personne a coulé la CNIL de l’intérieur, sans lui donner la possibilité de se retourner et de se porter en faux contre cette atteinte aux principes mêmes de sa création. En effet, on en arrive précisément, sous la présidence de Jacques Chirac, a ce que la loi de 1978 voulait soigneusement éviter. Rappelons tout de même que cette législation de la fin des années 70 est née de la levée de boucliers consécutive au projet SAFARI de 1974, instauré par le même Jacques Chirac. Et si personne ne dit rien, c’est justement parce que mêmes « les défenseurs des libertés individuelles et de l’égalité » se rattachent à cette loi Informatique et Liberté. Pour quelle raison ? Simplement parce que cette dernière, dans son remaniement, permet de lutter efficacement contre la fraude fiscale et aux prestations sociales garante justement d’une absence de liberté d’accès à ces aides à terme et d’une certaine équité.

Quel peut alors être le pouvoir de la CNIL dans la volonté du SELL de placer un pisteur dans les produits de divertissement multimédias ? Ne pouvant que dénoncer des pratiques sans acquérir de poids limitatif imposant, la CNIL ne devrait logiquement n’avoir qu’un rôle moralisateur sans possibilité de réelle interférence. Toutefois, rien n’a encore été communiqué sur ce sujet précis et nous attendrons donc la finalité de ceci dans l’angoisse. Oui dans l’angoisse. Je ne cherche pas du tout à me la jouer «théorie du complot », mais je pense qu’il est tout de même important de savoir situer des moments durant lesquels certaines acquisitions s’avèrent annihilées et s’en inquiéter. Mais plus nous avançons, et plus le monde ressemble à la description d’Orwell dans 1984. Que ce soit au niveau des médias, ou de la politique. Je ne prône pas la peur de chaque image ou chaque révélation, mais il est intéressant d’avoir parfois un recul critique sur le flot d’informations déversés chaque jour. Ce texte est donc purement à but informatif et si possible réflexif. Je n’impose pas un avis, je propose un point de vue ouvert à chaque vision. Enfin j’espère.

Petit complément important : Voici un texte très intéressant sur la Consitution Européenne, qui comprend de nombreuses similitudes avec les faits relatés ci-dessus et un point de vue différent sur le contexte de cette dernière. Rendez-vous donc ici.

23 mars 2005

la musique électronique: critique de la nonchalance pure.

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Il serait vain d’écouter de la musique électronique en essayant d’y dénicher des architectures harmoniques digne des grands noms de la musique classique. Là n’est pas son but. De la même manière que l’art contemporain semble être une interrogation sur les limites de l’art, l’électronique s’interroge à sa manière sur les limites de la musique. C’est ainsi que, grâce à l’arrivée des machines et plus particulièrement du numérique, de plus en plus de bruits du quotidien ont commencé à fleurir ici ou là au sein des chansons. Comme pour l’art contemporain, quelque chose de banal devient soudain artistique parce qu’on a porté un instant un regard différent sur lui, parce qu’on le met en scène.

La chose la plus fondamentale qu’aient apporté les machines dans l’évolution de la musique, c’est le hasard, l’erreur, l’accident! Et voilà une des différences majeures avec les musiques plus harmoniques. Les machines ont ramené le hasard à une place de choix dans la composition, le déraillement est presque devenu une règle. Tel effet rajouté à tel effet, telles fréquences balayées aléatoirement par une équalisation nonchalante, et soudain surgit quelque chose, un son particulier, qui se pare d'une aura inattendue, imprévisible. La composition en électronique est presque une passivité, une attente, une sorte de philosophie de l’affût. On guette le surgissement, l’étincelle qui va soudain conférer une âme à la boucle qui tourne sans âme depuis des heures sur l’écran de l’ordinateur ou dans le sampler. Et puis au cours d’un bidouillage, le son prend vie; alors, seulement, la direction du morceau se profile, et comme un chercheur d’or, le compositeur va plonger et replonger inlassablement son tamis dans l’eau dans l’espoir d’en retirer d’autres pépites.

samples_picasso3Le son n’est plus simplement un vecteur de l’harmonie, auquel on demande un beau port de tête pour faire honneur à la mélodie; les textures des sonorités sont devenues un univers entier à elles seules, chaque aspérité et chaque relief a son importance, chaque teinte apporte une nuance au paysage qu’elles esquissent. Chaque son devient un petit monde en lui même, et le compositeur développe alors pour lui une curiosité dévorante, en le poussant dans ses retranchements, en explorant chaque centimètre de ses nerfs et de ses tendons. On le torture et on le cajole en même temps, on le cuisine comme dans une garde à vue musclée et sado-maso pour qu’il nous livre sa mécanique secrète; qu’il dévoile enfin la faille, la niche où notre conscience ira se faufiler.

C’est cette vision des choses que les non-musiciens, ceux qui créent de la musique avec des machines, ont insufflé à l’histoire de la musique en remettant en cause le statut-roi de musicien ou de chanteur. Et il serait injuste de réduire cela à une baisse général du niveau musical et de la maîtrise des règles de l‘harmonie, parce que cette réflexion sur la texture est désormais au cœur du travail de nombreux nouveaux et talentueux artistes.

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17 mars 2005

Détourner la Cène est-il un blasphème?

Le blasphème punit par la loi?

La publicité détournant la Cène, après avoir été interdite en Italie, se voit maintenant censurée en France. L’association “croyances et libertés” avait mené l’affaire devant les tribunaux, et jeudi 10 Mars, elle obtenait gain de cause devant le tribunal de grande instance de Paris.

Concernant le détournement de la Cène par l’agence de publicité de Marithé et François Girbaud (pour vous convaincre de leur talent, allez faire un tour sur leur très beau site - et notamment sur leur étrange hell-heaven dimension) l’avocat de l’accusation déplore une démarche “blasphématoire” et dénonce “l’utilisation mercantile d’un acte fondateur”. La publicité avait été publiée en décembre dans des magazines féminins mais c’est la réalisation d’une immence affiche publicitaire de 400 mètre carrés (!), exposée sur l’avenue Charles de Gaulle, qui a déclenché les hostilités, au début du mois de mars.La conclusion du tribunal était la suivante: la publicité détournant la Cène est “un acte d’intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes” ajoutant que “l’injure ainsi faite aux catholiques apparaît disproportionnée au but mercantile recherché”.

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L'affiche de Larry flint, en 1996, avait été interdite.

Le processus de symbolisation.

“On peut dire que ces images emblématiques fonctionnent comme des miroirs de ce qui est pour chacun d’entre nous indicible. Nous ressentons des choses que nous n’arrivons pas à formuler avec des mots” Serges Tisseron.

La foi ne peut pas se démontrer; le discours logique échoue à restituer l’absolu. C’est peut être de là que vient l’importance pour la religion de se constituer un patrimoine d’images ou d’oeuvres (et pas seulement de textes) qu’elle ressent comme emblématiques, qui sont un autre moyen que les mots pour tenter d’atteindre l’intuition de valeurs transcendantes et de Dieu.

La cène n’est pas un simple tableau représentant un passage capital de la Bible, pour l’Eglise, il devenu un symbole fort du christiannisme, emblématique de cette religion. Les images de ce type peuvent jouer un rôle de cohésion au sein de la communauté religieuse, de “colle sociale” comme le dit Serges Tisseron. Un lien se crée entre les divers membres d’une communauté qui trouve là (entre autres) un point de rencontre à leur sensibilté et à leurs croyances, un repère cristalisant leur sentiment d‘appartenance à une même vision des choses. L’image peut inspirer une émotion puissante, qui va nourrir la foi du croyant. Ces images sont commes des guides, une sorte de référence appartenant à l’histoire de l’église, de la même manière que cette dernière s’appuie sur les textes de la Bible pour maintenir sa cohésion et fonder son identité. Les images ou les oeuvres que la religion a “greffé” à son patrimoine culturel et à son histoire joue aussi ce rôle, et participent à la construction et au maintien de l’identité du christiannisme.

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Ave maria, film de Jacques richard sorti en 1984. L'affiche sera censurée.

De la symbolisation au sacré

De telles images contiennent donc une part de transcendance, elles tâchent de réussir là où échouent les mots, elles semblent véhiculer l’impensable, l’informulable, l’intuition d’absolu à laquelle se raccroche la foi. Mais la vie de Jésus, incarnation de Dieu, a donné soudain chair à cette absolu, lui confèrant une réalité (du moins pour les croyants), une “preuve”. Le sacré est une sorte d’absolu attesté par une manifestation divine. Le tableau est devenu une sorte d’indicible sentier spirituel permettant à ceux qui reconnaissent son caractère emblématique, symbolique, d’y caresser l’intuition de Dieu. Comme si la fresque parvenait par une étrange alchimie a “invoquer” l’ombre de l’essence divine.

La dimension transcendante et sacrée de la siginfication d’une oeuvre implique néanmoins, pour subsister, que cette image ne soit jamais réutilisée dans un autre contexte. Il faut s’assurer que cette image aura toujours le même sens; le seul moyen de s’en assurer et de s’approprier l’image, et c’est précisément ce que fait l’Eglise, qui parle du tableau de Leonard de Vinci comme si elle lui appartenait. Elle s’en réserve l’usage, pour être certaine que le signifiant (le support du tableau, sa composition) soit irrédiablement lié au signifié, aux valeurs qu'elle y rattache. L’Eglise agit donc comme le propriétaire exclusif de ces images religieuses et refusent le droit à quiconque de s’en emparer à d’autres fins que celle ci. La définition d’un espace sacré débute. Avec la religion, l’absolu devient donc intouchable, inviolable, on ne peut le remettre en question et il devient sacré. Détourner une oeuvre déclarée sacrée devient alors profanation, blasphème. (car remise en cause de son lien secret avec la divinité)

C’est pour ces raisons qu’un usage mercantile d’un oeuvre emblématique est combattu par les évêques, car une telle utilisation entraîne nécessairement un amoindrissement de la portée symbolique de l‘oeuvre, sa désacralisation. En ces temps où le christiannisme est déjà considérablement affaibli, les évèques voient sans doute dans l’action en justice une manière de défendre le christiannisme, non pas seulement pour ce cas précis (l‘affaire marithé et françois Girbaud), mais en tâchant de faire en sorte que tourner les images religieuses en dérision ne deviennent pas une habitude des publicitaires.

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L'affiche d'Amen, de Costa-gravas, avait suscité la colère des évêques, mais le tribunal rejettera sa demande d'interdiction.

La défense d’un domaine sacré implique nécessairement la censure.

c’est sans doute ainsi que naît la censure de la religion, qui pour défendre cet espace sacré, inviolable, pour assurer la bonne santé et l’identité forte et unie de l’Eglise, s’est permit tout au long de l’histoire d’interdir toute oeuvre qui remettrait en cause ce domaine, censurant des livres ou des oeuvres “subversives ou profanes” (ou tout bêtement en brûlant des intellectuels, lors des siècles précédents). On pouvait justement entendre aux informations, il y a quelques jour, que le livre "Da vinci code" était mis à l'index par l'Eglise, ce qui signifie qu'elle déconseille aux chrétiens de le lire. Cette position de la défense du sacré pose un probleme car elle peut dériver en réalité en fascisme moral, dans son application la plus impitoyable. L’interdiction de toute remise en cause de ce sacré peut représenter en cela un danger pour la liberté de pensée.

L’avocat de l’agence Air Paris plaidera que ce n’est pas le “siginifié” (c’est à dire le message religieux lié au tableau ) qui a été détournée, mais son “signifiant” (le support du tableau lui même, la composition mathématique et mintieuse de l’oeuvre) “ce qui a servi de support, c’est l’oeuvre de Leonard de Vinci, absolument pas le texte de l’évangile” dit-il. Mais ce droit lui a finalement été refusé par la loi, le fait d’avoir reproduit la composition légendaire de Léonard de Vinci dans un cadre publicitaire a été considéré comme une offense à la foi et “aux croyances intimes des catholiques” méritant une censure totale. Le sacré implique la censure pure et simple, et, en dépit de son nom, l’association “croyances et liberté” a bien pour but d’interdire l’utilisation d’une partie du patrimoine culturel mondial par quelqu’un d’autre que par l’Eglise.

Ce n’est pas la première intervention de “croyances et libertés” qui avait déjà réagit en 1997, lorsque Volkswagen avait détourné... la Cène, pour une campagne publicitaire destinée à leur nouvelle Golf. Les même raisons avaient été invoquées, et l’association avait reproché à Volkswagen de lui avoir chaparder le tableau de Léonard de Vinci (car c’était également la Cène vu par De Vinci qui était en cause), allant jusqu’à évoquer de la “contrefaçon”. “Croyances et libertés” avait demandé 1000 francs de dommages et intérêts par affiche, soit environ 3 millions de francs! La procédure judiciaire fut interrompue puisque, avant que le jugement soit prononcé, Volkswagen retira ses affiches et accepta de verser une somme d'argent au secours catholique.

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La publicité de vokswagen en 1997.Voir la lettre ouverte de Mgr Billé, où il compare le fait de détourner la Cène à de la contrefaçon. Il y affirme l'interdiction morale de détourner tout symbole de la foi.

Liberté de croyance versus liberté d'expression

“Il y a la liberté de création, mais elle doit être confrontée à la liberté de croyance de l’Eglise. la liberté ne peut pas être à sens unique” dit Jean Michel Di falco, évêque.

On peut s’agacer de voir les chefs-d’oeuvres de l’esprit ouverts à un usage commercial et la Naissance de Vénus servir à vendre des bidets. Mais tradionnellement, ce patrimoine symbolique est libre de droits. Il doit le rester au nom même de la liberté d’esprit qu’il a contribué à inventer” écrit Gérard Dupuy dans libération.

Loi du 29.12.1979 sur les publicités de rue, article 1:“chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité.”

Dans cette déclaration de L’évêque Jean Michel Di Falco, ci dessus, il ya quelque chose d’implicitement convenu qu’il convient immédiatement de rectifier. En effet, en aucune façon le détournement de la Cène n’est une atteinte à la croyance. Elle détourne non pas la croyance ou la foi mais des symboles de la croyance et de la foi, ce qui est différent. La foi reste du domaine de l’intime et de l’informulable, de l’intouchable. En ce sens strict, la liberté de croyance n’est pas menacé par la liberté d’expression de la publicité, même si la liberté d‘expression peut confronter les croyants à des discours susceptibles de les blesser. Tout comme un athée peut d’ailleurs s’estimer choqué par le prosélytisme de l’Eglise catholique.

Si on comprend que défendre ses symboles est pour l’église une question de survie, on comprend moins que notre état qui se veut laïc (la république ne reconnaît aucun culte) ait finalement pris position en faveur de la défense du sacré, en interdisant complètement la publicité de l‘agence Air Paris. La justice d’un état laïc se devait elle de favoriser une protection absolue des icônes de l’Eglise plutôt que la liberté d’expression d’une publicité et la libre utilisation du patrimoine culturel mondial?

PS: Qui est l’homme présent sur le tableau?

La présence de cet homme s’expliquerait par l’hypothèse évoquée dans le roman de Dan Brown, “le Da vinci code”. Le monde:“Jésus aurait épousé Marie Madeleine, la pêcheresse repentie. Un secret que l’église catholique aurait caché pendant des siècles par pure mysoginie. mais Léonard de Vinci l’aurait révélé dans ses tableaux. l’homme dévêtu sur l”affiche n’est autre que le double masculin de Marie-madeleine...” Le personnage orginal de la Cène est censé être l’apôtre saint jean, mais on remarque ses traits extrêmement fins. La version de Marithé et François Girbaud accrédite donc indirectement la thèse selon laquelle Jésus était marié. Sur le tableau de Leonard de vinci, les traits de ce personnage ambigus.

Source: le monde pour les propos rapportés du procés, libération pour le point de vue de Gérard Dupuy et de l’évêque du GAP, la conférence de Serges tisseron sur les images emblématiques.

pong

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16 mars 2005

à voir! le clip de Didier super

Un petit clip de Didier super au ton mordant. si vous n'avez pas peur des sarcasmes, cliquez ici, ça mérite le détour. Le site internet où j'ai trouvé le lien est par là.

13 mars 2005

Le manifeste du mouton

Avoir une réflexion sur la société de consommation c'est bien. Essayer de prendre du recul, de s'arrêter cinq minutes sur le bord du chemin pour mieux cerner la situation, c'est chouette. Mais se servir de la cause anti-pub, par exemple, pour s'imaginer faire parti des Justes, et devenir un donneur de leçon, c'est lourd, proférer sans cesse des sentences cyniques, c'est de la paresse intellectuelle. On retombe dans l'excès inverse: si la publicité nous prend très souvent pour des cons, il arrive aussi que ceux qui sont censé nous fournir un discours différent (comme certains anti-pubs) fassent de même. Par une illumination soudaine, certains ont trouvé là une cause à défendre et s'estime sur le chemin de la Vérité, on entend même clamer ici où là le mot « liberté », comme si éteindre sa télé faisait tout à coup de nous des hommes libres. On est toujours le mouton de quelqu'un d'autre! Le discours consistant à expliquer aux gens qu'ils sont des moutons est vite rébarbatif et demande peu d'efforts.

Les gens sont certes fatigués du harcèlement publicitaire, de la confusion de la valeur et du prix, de la marchandisation implacable de tous les domaines, mais ils en ont surtout marre qu'on les prennent pour des cons, et de constater que les soi disant bergers bienfaiteurs qui prétendent sortir la plèbe de sa fange s'avèrent une simple variante de plus d'une volonté de gratification narcissique, visant plus à la satisfaction de leur ego qu'au bien être de ceux à qui ils s'adressent. Il est usant de sentir qu'on sort à chaque fois d'un système de dominance pour entrer plus aveuglément dans un autre système de dominance. La démarche visant à faire prendre conscience des dérives économiques, et à essayer de recréer ou de conserver un espace libre pour la culture et la morale est un contrepoids indispensable aux transformations fulgurantes de nos sociétés fondées sur l'économie de marché, mais être un homme libre, c'est bien plus que se lever de son canapé pour éteindre son téléviseur, c'est bien plus que lutter contre la société de consommation de masse et ses promesses illusoires. En admettant que l'homme soit effectivement capable d'atteindre cet idéal de liberté, ce qui me paraît très optimiste. Mais au moins doit-il essayer d'y tendre autant qu'il le peut. Et sa première mission pour arriver à cela, c'est arrêter de cacher des motivations personnelles derrières des grands discours, et qui ne sont la plupart du temps qu' un prétexte pour satisfaire un besoin de domination et conjurer sa propre impuissance (source de stress voire de mal être étant donné le fonctionnement biologique de notre cerveau) en reproduisant sur autrui le schéma de domination duquel on est soi même victime. En d'autres termes, si on se sent pris pour un con, il faut trouver le moyen de prendre les autres pour des cons. Question d'équilibre mental. La première tentative pour accéder à une certaine forme de liberté serait de faire ce qui est en notre pouvoir pour tâcher d'échapper à ce mécanisme.

pong

 

12 mars 2005

L'alchimie pour les nuls

edward_and_denEn ce moment sur Canal + est diffusé une série animée japonaise produite par le talentueux studio Bones (assez méconnu en France mais à qui l'on doit entre autres RahXephon, l'envoûtant et glacialement pessimiste Wolf's Rain, Scrapped Princess ou encore le film Cowboy Bebop, qui mérite une attention toute particulière de par sa construction narrative et sa recherche psychologique ), et nommée Full Metal Alchemist. Se plaçant dans un contexte uchronique, l'univers propre à FMA place comme point d'ancrage de la société l'alchimie. En un sens nous assistons à une dérivation du monde tel que nous le connaissons si cette science qualifiée d'occulte s'était petit à petit hissé au rang de base incontournable des évènements se déroulant au gré de l'existence. Une sorte de révolution en résumé après une série de découvertes fondamentales. De ce fait, l'ensemble des institutions présentes se construit avec cette donnée, aboutissant à une division spécifique des gouvernements utilisant l'alchimie en tant que fondement de leurs actions. Chaque état possède donc une de ces branches, bien entendu rattachée à l'armée, et mise à profit dans des maintiens de l'ordre divers, mais aussi dans la résolution d'enquête ayant trait à la politique, voire la géopolitique. Néanmoins, il demeure une strate supérieur à la sobriété énigmatique, connue sous l'appellation des « Alchimistes d'Etat », destinés agir lors de conflits militaires de premier ordre, en tant que soutien de troupes, voire de nettoyeurs dans le pire des cas. C'est dans ce contexte trouble et quasi autocratique que vivent Alphonse et Edouard Elric, deux jeunes garçons vivant paisiblement dans le village de Rizenbull, bercés depuis leur plus jeune âge par le spectre de l'alchimie, initié par leur père, scientifique de renom.

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Néanmoins, et après la disparition de leur mentor et géniteur, les deux enfants poursuivirent leur existence avec leur mère, peu encline à leur conseiller la voie de l'étude de l'alchimie, du moins dans les premiers instants d'un deuil lié fortement à cette même approche scientifique de l'environnement. Intrépides et inconscients, les jeunes garçons rythment leur développement d'études et de contemplation, inscrit dans un schéma idéal de naïveté et d'équilibre. Pourtant , le décès soudain de leur mère va définitivement remettre en question leur relation d'une part aux autres mais également à ce qui les berce et les entoure depuis tant d'années. Effectivement, se rendant compte que la femme qui les a élevée leur a laissé un libre accès à l'alchimie simplement pour posséder un souvenir réminiscent et récurrent de leur père à travers eux, les deux frères imputent également la longue maladie dégénérescente de leur mère au départ de ce dernier, qui n'a jamais offert une seule preuve de sa survie ou de sa mort. Ce voile opaque, permettant de conserver un espoir rongeant la moindre once de bien-être évasif mine cruellement chaque individu d'une famille isolée humainement et géographiquement. Rongé par une tristesse aveuglante et des remords tortueux, le duo de jeunes garçons va alors tenter une des expériences interdites de l'alchimie, auréolée de tabous et dépassant toute rationalité, la transmutation humaine. Désireux de ressusciter leur mère, considérant sa mort comme un fardeau cisaillant et une injustice flagrante, les deux garçons vont alors se plonger dans les ouvrages scellés détenus dans la bibliothèque familial afin de découvrir le cheminement de cette Oeuvre alchimique. Se basant sur le principe de l'échange équivalent, fondation séculaire de cette science des éléments, et après avoir récolté les ingrédients nécessaires, les enfants vont alors offrir leur sang en échange de l'incarnation de leur mère.

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Un bruit, une lueur sont les témoins muets de la tragédie qui s'amorce. Trop présomptueux de leur capacité, les jeunes gens s'avèrent submergés par la puissance de leur exécution, et commencent à être littéralement dissous par l'aura émanant de cette expérience. Voyant son frère emporté par ces flots luminescents, Edouard sacrifie son bras et sa jambe droite en essayant de le retirer du tourbillon vociférant, trouvant juste le temps de tracer un symbole sur une des armures de la pièce afin d'y enfermer l'âme d'Alphonse. Revenus à eux, ils ne peuvent que constater l'indicible. Ce qu'ils sont parvenus à invoquer n'est qu'un tas de chair informe, image terrible et désarmante pour des enfant d'à peine 12 ans. Encore sous le choc, Al conduit rapidement son frère gravement blessé chez leur meilleure amie Winry Rockbell, dont la grand-mère, Pinako, est une spécialiste des méca-greffes (sorte d'implants métalliques remplaçant des membres sectionnés). Soumis à une véritable torture, dans le sens où chacun de ses nerfs doit être attaché séparément avec une conducteur d'acier, Ed ne se remettra que difficilement de cette opération à laquelle assiste un obscur Alchimiste d'Etat du nom de Roy Mustang, opérant sous le pseudonyme de l'alchimiste de feu. La venue de ce dernier fait suite aux nombre titanesque de lettres adressées aux personnes ayant pu connaître leur père, expédiées par Alphonse et Edouard. Un seul individu daigna y répondre du fait d'une recherche personnelle similaire.

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Sans réaliser de révélation désobligeante sur la suite des évènements, Ed va s'engager rapidement dans la faction des Alchimistes d'Etat, accompagné de son frère, afin d'avoir accès à la Grande Bibliothèque, recelant des livres alchimiques anciens et hors de portée des simples citoyens. C'est en effet en leur sein que ceux-ci espèrent dénicher des indices sur la localisation de la pierre philosophale, dont les caractéristiques spécifiques leur permettraient de recouvrer leur enveloppe charnelle respective, et surtout d'enfin ramener à la vie leur mère. Un sacrifice conscient par conséquent, amenant un tiraillement entre une autorité militaire souvent injuste, un but viscéralement focalisé, et l'appel d'une moralité sous-jacente et personnelle allant totalement contre les agissements des Alchimistes d'Etat. Les héros ressentent de fait une réelle division frustrante et souvent paradoxale. Opérant une mutation longue et irrégulière, ceux-ci connaîtront l'entrebâillement d'une porte de fuite vers un état stabilisé par le biais de leur rencontre avec le tueur d'alchimistes, Scar. On pourrait d'ailleurs rapprocher ce passage de la série d'une autre production japonaise connue sous le patronyme de l'Autre Monde, dans la réflexion proposée sur les espérances bafouées, la crédulité irriguée par la manipulation, ainsi que sur la légitimité d'une vengeance guidée par les chimères d'une cause fantasmée. Les véritables motivations se doublent fréquemment d'inspirations voilées opérant de nombreuses scissions dans des personnalités au départ trop guindées pour conserver une once d'humanité. La répercussion des actes devient du coup le moteur général de la narration et augurent à chaque occurrence la présence de ponts de vue aussi divers qu'antagonistes, ne tombant pas comme des sentences stériles, mais prônant la mise en place d'un dialogue et de la défense d'une attitude ou d'une autre. On ne se retrouve donc pas sur le pont branlant du manichéisme forcené, et il s'avère nettement fascinant d'observer les intrusions de traits de caractères insoupçonnés, en décalage avec le ton même des évènements ou encore des personnages, non pas pour spécialement dédramatiser, mais dans le but d'éloigner la focalisation afin d'opérer la même distance égoïste (humaine) que celle oeuvrant dans la réalité matérielle.

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Même si l'on se devine concerné par un sujet en particulier, le voile de l'intérêt désintéressé chute aisément devant la volonté de bien-être et de gratification en résultant. Le rôle s'amenuise pour entrouvrir la voie vers une projection de soi dans une mise en avant de sa personne malgré le contexte. Les personnages principaux avancent donc vers une complexification attachante, car proche, sans être totalement incrusté dans les moeurs réelles sans quoi leur intérêt romanesque, du moins dans le cas d'une série animée, amènerait un renvoi à soi-même un peu trop percutant. Mais c'est également une civilisation qui est ici décrite. Formant comme explicitée plus haut une sorte de parallèle avec la nôtre, celle-ci chute dans des abîmes quasiment semblables à ceux menaçant à plus ou moins long terme la stabilité sociale et politique, à savoir une sorte de course vers l'appropriation personnelle et indivisible d'une ressource servant de moteur à tout un peuple. Un épisode fait d'ailleurs admirablement bien le parallèle entre le statut d'Einstein face à la création de la bombe atomique et celui d'un alchimiste du nom de Marco confronté à sa création, une espèce d'ersatz de la pierre philosophale ayant conduit au massacre du village d'Ishbal. En effet, cette « pierre » protéiforme, décuplant les pouvoirs des alchimistes, fut utilisée durant une révolte afin de miner les foyers de soulèvements. Cependant, et alors que la volonté première n'était basée que sur un principe de crainte, l'opération tourna cours, et les alchimistes d 'Etat, ivres de cette puissance conduirent à leur perte des centaines de femmes et d'enfants. Même les plus honnêtes et paisibles des émissaires de l'état furent pris d'une folie destructrice inaltérable. On y verra bien évidemment une manifestation de la volonté de puissance, insidieuse et gangrenant les esprits de soldats qui ne comprennent pas les rouages automatisés de leurs actes. Ils ne regrettent pas, là est la nuance, ils ne comprennent tout simplement pas. Une analyse relativement intéressante dans une série qui pourtant donne la part belle à des situations souvent humoristiques et à un ton suivant une voie similaire. Mais là ou la similitude avec Einstein s'éloigne quelque peu,  c'est dans le traitement de la culpabilité qui atteint dans Full Metal Alchemist des proportions d'abandon et de résignation de l'existence morbides. Une distanciation découlant en droite ligne du traumatisme d'un pays, et surtout de ses habitants, décantant cette phobie de la destruction et de l'anéantissement à travers divers médias culturels dont l'animation et le manga. Ce n'est pas innocent si une grande partie de leur production met en scène des environnements à la désolation lugubre et stérile, des cendres sur lesquelles seules des valeurs comme le courage ou la folie dominent encore les esprits. Pour en revenir à la série, il pourrait planer quelques doutes à son encontre quant à sa fidélité avec les diverses notions de l'alchimie en tant que telles.

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S'il est vrai que certaines affirmations divergent, on retrouve des notions profondes, comme par l'échange alchimique qui se traduit dans la réalité par une mise à niveau du volume des éléments destinés à la fusion, et surtout par le principe de substrat. En effet, il est indispensable en alchimie de retirer une substance d'une autre afin de faire avancer l'Oeuvre jusqu'à son état final. Un exemple, dans le Grand Oeuvre (à savoir une sorte de métaphore désignant l'art alchimique en général et composé de trois phases distinctes) il était nécessaire de réaliser tout d'abord deux « principes », celui nommé mercuriel, et celui du soufre, puis d'achever cette tâche par une cuisson, menant droit, logiquement, à la création de la Pierre (alias la pierre philosophale). Au sein de ceux-ci, la méthode consistait en réalité à extraire en premier lieu le mercure et le soufre, puis à les raffiner jusqu'à obtenir une purification semblant «l'or et l'argent », jusqu'à les mêler dans l'Elixir Blanc, qui lui-même deviendra par la suite l'Elixir Rouge au terme d'une variation chromatique prouvant la réussite de l'Oeuvre. Néanmoins, où se trouve précisément le concept d'échanges d'éléments de même valeur dans l'aboutissement d'une transmutation comme explicitée dans la série ? Et bien tout bonnement dans les fondements même de l'alchimie, qui se basent sur l'association de couples d'opposés, à l'image du Soufre et du Mercure permettant la naissance d'une troisième entité réunissant les deux autres.

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(l'auteur de cette image est Fabien, aka "Fox Natural Concept" )

La recherche met en effet en lumière la volonté de former une harmonisation de deux composantes possédant les caractéristiques de ces dernières, sous la forme d'une tierce entité  nommée « rebis », ou double-chose. On la représente d'ailleurs souvent par le biais d'un oeuf ou d'un être androgyne. Ces mots d'un Adepte définissent d'ailleurs fort bien son statut : « Tous s'accordent en un qui est divisé en deux ». Mais bien entendu et comme cité plus en amont, les associations s'organisent entre « objets » de valeur équivalente, comme le corps et l'esprit par exemple, qui figurent tous deux une matérialité chez les alchimistes. D'où le fait d'incarner dans la pierre philosophale et la transmutation des corps (capture de L'Esprit Universel dans un vase alchimique ) ces deux notions mêlées. On se retrouve ce point avec l'unes des inspirations fleuves de la série de Bones, soutenant pratiquement l'ensemble des relations de personnes à personnes mais aussi la construction même de cette dernière. Effectivement chaque intervenant semble devoir abandonner une de ses composantes affectives ou matérielles pour pouvoir avancer sur le fil ténu de sa propre existence. Les frères Elric ont dû pour l'un sacrifier la moitié de son corps, et pour l'autre son être tout entier, tandis que Roy Mustang s'est séparé de son honneur de soldat et de sa naïveté soumise à un héroïsme sur commande. Une scission évidente qui leur a permis d'une part de renaître autre tout en conservant leur ancienne personnalité masquée, lui octroyant parfois une porte de sortie dans certaines situations, et d'autre part de s'insérer dans un univers qui ne semblait pas destiné à les accueillir . A ce propos, on peut apercevoir un rapprochement intéressant entre la compétence alchimique relative à l'emprisonnement d'un esprit au creux d'un objet physique et l'attachement de l'âme d'Alphonse dans les méandres d'une armure géante, dans une symbolique de la mise en place de l'impalpable et de l'indéfini au niveau du matériel. De plus, le binôme principal mettant en scène Al et Ed fonctionne comme une analogie de la réunion d'antagonismes.

mercuriusEn effet, l'un peut se considérer solitaire et colérique, tandis que l'autre démontre plutôt un certain altruisme, le besoin d'être entouré, et une mesure réfléchie. Séparés, ils agissent dans les grandes lignes de leur caractère, sans toutefois se cantonner à un rôle en particulier, mais ensemble ils laissent entrevoir des facettes inédites et deviennent un autre « être », plus tourmenté, démonstratif et paradoxalement en repli sur lui-même. Il s'avère par conséquent que la dualité, l'échange et la transmutation se placent comme inspirations directrices du schéma relationnel, recoupant l'Ouroboros, symbole cher aux alchimistes, évoquant la présence en chacun d'un ensemble d'éléments relatifs au Tout et conduisant à la métamorphose des corps et par extension des esprits. De même, et pour compléter le principe de l'échange équivalent  en reprenant les mots de Canseliet : « On obtiens rien sans donner en échange, [...]au cours des ans, voire des siècles, les successifs possesseurs d'un livre d'étude, développent, par lui, une chaîne dont il demeure le maillon tangible et perdurable ». Il est donc probant de rapprocher cet affirmation d'une part de la focalisation sur la personne au sein de l'environnement direct, fil tendu au coeur même du tissu de la vie, à l'image de la manière de procéder de la narration, et d'autre part d'une transmission du savoir, source d'une sorte de mythologie scientifique. Enfin, cette série utilise tellement de symboles liés à l'alchimie qu'il serait trop long de tous les énumérer. Sachons simplement que l'on retrouve le caducée d'Hermès qui est le principe de tout, l'origine du mélange et l'emblème d'Edouard, ce qui correspond bien a son statut, associé au serpent crucifié de Flamel. Un enchevêtrement relativement austère et complexe il est vrai, assez difficile à saisir sur le coup, mais qui abrite des aspects réflexifs très intéressants. Je pense que j'en reparlerais plus tard.

41Pour finir, je tiens juste à signaler que ce texte n'est pas qu'une critique d'une série animée, certes de très bonne facture et qui mérite amplement que l'on s'y penche, mais également une exposition de l'alchimie en tant que science de l’esprit et séparée un tant soit peu des accusations mystiques et ésotériques. Ce domaine a quand même, à l'époque, introduit l'existence de trois ordres naturels (minéraux, animaux, végétaux), alors que les classifications existantes n'en comptaient que deux, et s'est illustré par une réflexion sur le Tout et le Un, autant physique que philosophique. D'autre part, les symboles de la Terre et du Ciel se rapprochant beaucoup de la philosophie chinoise forment une scission notable dans les pensées occidentales mises en scène. Tout en sachant bien sûr que l'alchimie est née au Moyen-Orient (Al Chemia), et que nombre de ses « chercheurs » se révélaient chinois ou coréen, comme par exemple Hoang-ti-nei-King. Au final il apparaît en sus une recherche sur le statut de l'esprit face à la matière et à leur concordance et une inspiration manifeste de l'existence de trois états psychologiques qu'évoquera plus tard Jung, à savoir le tryptique Nigredo, Albedo et Rubedo. Demandant une certaine recherche sémantique, l'alchimie demeure passionnante, et j'espère pouvoir en discuter davantage dans quelques temps.

flameroy

1 mars 2005

Hail to the thief, radiohead.

On se demandait bien à quoi allait pouvoir ressembler Hail to the thief, après avoir traverser les contrées désolées de Kid A et d'Amnesiac. le groupe avait promis de revenir à quelque chose de plus pop, avec plus de guitare. Le spleen qui avait hanté profondément le groupe depuis OK computer allait t-il laisser place à une pop plus légère, les guitares électriques flamboyantes de the bends allaient-elles reprendre le devant de la scène? On savait surtout qu'il était vain d'essayer d'imaginer la prochaine évolution de ce groupe habitué aux métamorphoses les plus inattendues.

Hail to the thief s'avère plus accessible, moins expérimental, que les deux opus précédents, où la production torturée entretenait une atmosphère étrange et claustrophobe. Le premier morceau, le jouissif 2+2=5 sonne comme un retour à une musique plus directe, plus en chair, sorte de petit manifeste de la ligne directrice de ce nouvelle album. Mais de sa plongée en apnée dans les volcans de Kid A, Thom Yorke et ses confrères ont ramené des joyaux à la noirceur envoûtante, et l'innocence de Pablo Honey ne pointera pas le bout de son nez. L'album est un effectivement un retour à certaines sources, dans son rapport moins conflictuel à la guitare et à la voix que sur les deux précédents disques, et pourtant le groupe continue à aller de l'avant, innovant une nouvelle fois dans une direction inédite. Des chansons pleine de clarté et d'espace, une fraîcheur étonnante de la part d'un groupe dont les membres jouent ensemble depuis une quinzaine d'année, un album où le plaisir des musiciens est palpable et communicatif. Radiohead a cette fois ci passé peu de temps en studio, et cette approche plus libérée se sent réellement.

La voix de Thom yorke a atteint un nouvelle maturité, véritable sublimation de sa technique de chant. elle atteint ici une aisance, une présence et une luminosité éclatantes. Plus brillante que jamais, elle survole avec virtuosité les paysages vierges d'Hail to the thief. Thom Yorke semble avoir fait la paix avec sa voix, qu'il cachait parfois sur les deux disque précédents derrières des effets étranges et qui semblait au bord de la rupture sur des morceaux comme "living in a glasshouse"ou "pyramid song". C'est donc une belle surprise que d'entendre ce chant totalement décomplexé, maîtrisé, limpide et fluide. Les mélanges entre voix de tête et voix de poitrine se font avec une agilité encore plus bluffante qu'à l'accoutumé, tant la frontière entre les deux s'est atténuée.

L'album regorgent de chansons aux architectures minutieuses et au savoir faire impeccable. Les chansons électroniques constituent les temps faibles du disque mais sont en revanche habitées par des mélodies shamaniques imparables. Les morceaux tels que "there there", investi peu à peu d'un souffle épique, ou 2+2=5; nous rappellent que radiohead a une science rare de la structure, qu'on retrouve aussi dans les morceaux comme "Go to Sleep" (pour son virage après la première minute), we suck Young blood (sa subite transe emmenée par un piano possédé);ou dans les envolées lyriques de "a wolf at the door". Ils font partie de ces trop rares groupes capable de surprendre régulièrement leurs auditeurs, capable de faire dérailler à tout instant la mécanique huilée de leurs morceaux, pour nous offrir au cœur d'une chanson un instant de musique indomptée. Radiohead a donc tourné brillamment une nouvelle page de son histoire, et à l'écoute de ce disque, on comprend qu'ils se trouvent au carrefour de nouvelles possibilités excitantes. Il ne s'agit pas seulement d'un nouvel album, mais sans doute d'une nouvelle période pour le groupe, qui paraît plus fiévreux et créatif que jamais.

Pong

 

Comment radiohead parvient-il à renouveler son inspiration?

28 février 2005

Final Fantasy est la meilleure série de tous les

 

Final Fantasy est la meilleure série de tous les temps, de l'univers, et des Ardennes (1ère étape)


Entamée depuis quelques temps, et surtout sublimée après la publication d'un nouveau magazine traitant de jeux de rôles vidéoludiques, et nommé justement RPG, une déferlante d'un certain aveuglement concernant la série de Square-Enix baptisée Final Fantasy a tendance a s'étendre sans jamais être remise en cause, ni explicitée. Désignée plus qu'arbitrairement comme, je cite « la plus grande série du monde du RPG console », cette saga, certes de grande qualité, n'en est pas moins une institution dominée par une passion qui s'éteint de plus en plus, laissant la place à des titres parfois peu convaincants, d'une part par leur fond propre, et d'autre part par leur statut de chefs-d'œuvre incontestés avant même d'avoir vu le jour. Je suis, comme beaucoup, férocement excité à l'annonce de la sortie d'un nouvel épisode de cette épopée, à l'envie de parcourir un univers dans lequel je peux me projeter, contenant mes rêves, mes désirs, et mes désillusions, de plonger dans un flot de sentiments, de moments latents de contemplation, et de destins aux rebondissements romanesque. Mais depuis quelques années, et surtout grâce à la découverte et la « démocratisation » de l'import, de nombreuses personnes ont vibré pour tant de RPG non affiliés à la série fondatrice de Square-Enix, trouvé tellement de choses ailleurs, tellement d'originalités, d'approches matures, et de parts d'onirisme touchantes, qu'elles sont parvenues à posséder un recul nettement suffisant, et de ce fait un regard critique beaucoup plus probant et affiné sur une saga qui se trouve, à mon avis, non pas mauvaise, loin de là, mais véritablement surestimée.


Pourquoi cette institution ?


Mis à part les différentes approches scénaristiques, et les qualités visuelles toujours au sommet des possibilités d'une époque, contenant évidemment une exposition de designs souvent innovants et pétris de qualité, Final Fantasy est surtout un univers, avec ce que cela comporte de fort bons côtés, mais également d'écueils handicapants. Effectivement, cet aspect provoque une habitude, un bien-être passif, une définition du sentiment même de plaisir rêvé, d'un bonheur appréhendé, sans forcément attendre une couche supplémentaire à son placement enviable. Bercés par cette construction imaginaire décantée au gré de douze (en comptant FFX-2), et bientôt treize épisodes, les joueurs se trouvent en un sens piégés par cette nébuleuse de sentiments communs, agréables, et surtout facilement repérables dans un contexte pourtant à chaque fois différent. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, simplement que c'est une façon de fidéliser inconsciemment l'acteur dans un univers au sein duquel il retrouve des marques que lui seul pense reconnaître, et qui lui sont spécialement destinées. Définition même de la série en général, ce concept permet de concevoir une sorte de monde virtuellement attachant, englobant, terriblement addictif, qui prend le temps de développer paisiblement son étendue, dans le but d'emmener avec lui, sans grande scission, les différentes personnes enclines à se laisser prendre. Il agit en tant que symbolique de l'amitié, un ensemble de liens personnels tissés avec une donnée immatérielle, mais à la proximité évidente et pratiquement sensorielle. Cette dimension rajoute une strate supplémentaire aux émotions ressenties lors de la pénétration au sein d'un RPG dépositaire d'un background travaillé, et d'une ambiance suivant cette donnée. En effet, la plongée au gré d'un univers fantasmé, comprenant les bases, les fondations, d'une existence idéalisée, répondant à une volonté d'affirmation de soi acquise et sans cesse sublimée, au travers d'un contexte imaginaire donnant liberté et corps aux désirs profonds les plus diversifiés, se trouve alors multipliée par l'habitude et la sérénité issues de la répétition.

De plus, et cela de manière plus prosaïque, Final Fantasy fonctionne aussi comme une marque à part entière, se servant justement de son univers « constant » comme d'une image véhiculant une identité forte. Un Final Fantasy se vend en priorité parce que c'est un FF. Il n'a plus besoin de démontrer un contenu, d'exposer des spécificités. Les acheteurs étant certain de se reconnaître dans un ensemble qui va de toute façon faire écho à leurs habitudes, il est indéniable qu'ils acquérront le produit sans y chercher de réels renseignements. La majorité des personnes concernées se laissera tenter même confrontée à des critiques négatives, ou des points gênants soulevés. Il est d'ailleurs amusant de percevoir parfois une mauvaise foi certaine concernant des défauts acceptés lestement dans un FF, et pointés du doigt de manière véhémente dans un titre de moindre envergure. S'il est certain que l'enrobage d'un épisode de la saga de Square minimise les écueils de par son soucis du détail omniprésent, la raison n'est pas suffisante pour ferme les yeux amoureusement sur certains points. Et de tout cela découle logiquement une médiatisation plus aisée et par conséquent plus poussée qui permet à la série d'occuper le devant de la scène rapidement et de façon imposante. En effet, FF demeure la seule série de RPG pouvant se vanter d'avoir parcouru les esprits de personnes désintéressées par ce type de soft, et connue de l'ensemble des amateurs, mêmes récents de produits vidéoludiques. Ce qui démontre incontestablement le matraquage médiatique entrepris par Square-Enix, et surtout sa volonté un peu trop appuyée d'ouvrir sa série phare de manière impudique. Toutefois, il également et légitimement important de noter le fait que cette saga se démarque aussi, dans son ancrage dans l'affectif collectif, par des qualités réelles et surtout des travaux sur les personnages relativement fouillés et profonds. Reste à espérer que le côté artistique fascinant, autant musical que graphique ne poursuive pas sa chute d'intérêt par le biais d'une certaine perte d'honnêté durant depuis cinq ou six ans.


Evolution de la série, première partie


Débutée en 1987, la série Final Fantasy au gré des ses mutations plus ou moins majeures a su s'imposer rapidement comme l'un des piliers mondiaux dans le domaine du RPG d'une part et de l'industrie vidéoludique d'autre part. Mais comment a t-elle pu atteindre un tel degré de médiatisation après seulement une quinzaine d'années d'existence, et quelles sont les principales étapes de ses diverses modifications ? Développé dans une urgence financière critique, Final Fantasy demeurait en fait la dernière chance (d'où le titre) d'une petite société nommée Square, minée par des désillusions manifestes dans l'univers cruel des produits multimédias à vocation de divertissement. Expérimentant la niche encore peu usitée du jeu de rôle, et sur les traces du célèbre Dragon Quest, déclencheur d'une passion aussi surprenante que soudaine, le premier opus de la saga du futur Squaresoft tente un placement habile dans une vague addictive sans précédent. Alors que son concurrent direct, sous l'égide d'Enix, adopte un parti-pris fidèle aux RPG occidentaux dont la caractéristique principale est le déroulement en vue interne, ici seulement conservé lors des combats, Final Fantasy premier du nom propose un système d'affrontements différent, basé sur une vision de profil des différents intervenants. On se rapproche donc plus des jeux de rôle sur plateau, dans une représentation davantage axée sur l'avatar en tant qu'icône « palpable », correspondant à un aspect plus concret, plus ludique.

On retrouve instantanément le plaisir simple du déplacement d'unités graphiquement spécifiques et disposant de ce fait d'une certaine assise, et surtout, ce qui a sûrement occupé une part majeure dans l'affection du public, la création d'un attachement certain pour ces petits tas de pixels si prenants à l'époque. Pour la première fois dans un RPG japonais, le joueur prenait pleinement conscience de ses matérialisations au sein de l'univers qu'il explore, et disposait d'une capacité de projection bien plus importante. Aucune coupure ne s'imbriquait entre les phases d'exploration et celles axées sur le pugilat. L'impression d'accompagner l'action était de ce fait beaucoup plus imposante, et surtout plus dynamique. Même si le champ de bataille était réduit à divers cadres incluant les intervenants, ainsi que les statistiques renseignant sur l'état de ces derniers, à la manière d'une feuille d'aventure d'un jeu de rôle papier, baignés dans un fond noir, l'ensemble conservait une vision nouvelle, et bien plus chaleureuse que celle inhérente à Dragon Quest. Néanmoins, le soft d'Enix, porté par le chara et le level-design de Toriyama Akira (Dragon Ball Z, Dr Slump, …) déjà très réputé au Japon, lui permit de contrer l'assaut de Square en se réservant une fidélité des joueurs incontestable. Malgré cet état des lieux, FF 1 réalisa un score dépassant aisément les attentes les plus folles de l'équipe de Sakaguchi Hironobu (producteur) et donna ainsi la chance à Square de se remettre à flots. Une fois ce cap passé, une suite fut développé à peine une année après. Ne possédant aucun lien scénaristique avec le titre précédent, aspect qui demeurera une des constantes de la série, FF 2 étonna de nombreux amateurs par son approche totalement différente d'un univers qui commençait tout juste à prendre racine. Alors que le premier opus mettait à l'œuvre un groupe de guerriers sans background, ne disposant pas même d'un patronyme, ce qui donna à de nombreuses personnes l'occasion de s'incarner complètement dans ces derniers, le second pose quant à lui un contexte « historique » développé, associé à un scénario, certes emplis de clichés et aux rebondissements plus que prévisibles, mais tout de même relativement mature pour l'époque. Contant les aventures d'un groupe de guerriers faisant face à l'oppression d'un régime dictatorial par le biais de la mise en forme d'une résistance de l'ombre, FF 2 véhiculait une approche sentimentale complètement réinventée par rapport à son prédécesseur. En premier lieu, les individus présents disposaient chacun d'un caractère particulier, soumis certes à la régence du groupe, mais parvenant à faire de chacun d'entre eux un homme ou une femme différente, et en cela même, une incarnation d'un type humain focalisé. Deuxièmement, apparaissait dans cet épisode le schéma qui sera repris dans pratiquement tous les opus qui suivront, à savoir une double manifestation du mal, à travers une menace exposée directement, masquant celle réelle, bien plus importante, et surtout agissant en secret.

Cette notion du mal sous-jacent, d'une insécurité gangrénant le monde sans se montrer, un péril latent, composera l'identité même des figures antagonistes de nombreux titres. En effet, les psychologies inhérentes aux individus mis au premier plan de l'infamie fonctionneront toujours sur un principe de dualité, d'une prise de conscience tardive d'un sentiment ou d'un état d'esprit jusqu'alors enfoui dans l'inconscient. Enfin, l'arrivée du symbolisme de la mort dans son apparence implacable et sa violence instantanée permit à FF 2 d'entamer un recul jusqu'alors à peine suggéré. Planant en tant que fatalité sur un destin sombre, cette occurrence ne trouve un écho équivalent que dans FF 7 et FF 6 décrivant des évènements ponctués d'un nombre assez important de décès. Néanmoins, la réalisation de cette acquisition nouvelle se traduit d'une façon un tantinet différente dans FF 2 du fait d'une absence totale d'intégration d'individus principaux concernés par ces tragédies virtuelles . Seules des connaissances, des êtres rencontrés au détour d'une bataille ou d'un service rendu, connaissent la froide étreinte. On ne se sent de fait pas spécifiquement concerné, d'une part à cause du manque d'étendu narrative liée à ces dernières, les amputant par la même d'un passé et d'une inscription commune, proche, dans une habitude non exceptionnelle, et d'autre part à cause d'une carence de liens affectifs avec un entourage diffus, doublée d'une absence de but précis et d'une raison d'une présence parfois intrigante. Un principe qui sera abordé avec une réflexion et une volonté d'immersion émotionnelle nettement plus profondes dans les opus 6 et 7, brisant les barrières « morales » d'une limitation pouvant détourner le public de l'aspect « conte » voulu par le RPG, du moins à l'époque. Pétri de ces inspirations, FF 3, reprenant dans les grandes lignes le scénario du premier épisode, tout en y ajoutant les acquis du second, comprenait pour la première fois l'ensemble des références qui allaient posséder par la suite le statut de gimmick. Citons pêle-mêle le personnage de Cid (certes relique du second opus, mais occupant une place grandement plus lumineuse, à l'image du chocobo), ou encore le Mog, sorte de petit ours affublé d'ailes de chauve-souris, qui occupera un rôle soumis à l'interaction dans FF 6. Pourtant, ce qui marque le plus l'esprit dans cette évolution constante demeure le côté scénaristique, qui va subir un bond plus que consistant à partir du quatrième épisode.


Evolution de la série, seconde partie


Effectivement, FF 4 inaugure l'arrivée d'une focalisation au sein du domaine de la psychologie des personnages, ou plutôt du personnage en particulier. En effet, cet épisode se focalise sur les liaisons ténues entre les concepts de bien et de mal par le biais du héros du jeu, nommé Cecil. Jeune commandant au service du royaume de Baron, cet émissaire zélé d'un gouvernement relativement autoritaire, celui-ci parcours le monde au gré des tâches lui étant assignées par son autorité. De plus en plus cruel et utilisant des méthodes à la radicalité constante, Cecil connaît une certaine désaffection de la part de ses troupes, choquées par les agissements immoraux de leur supérieur. C'est d'ailleurs au cours d'une mission durant laquelle ce dernier arrache un cristal légendaire à la ville de Mysidia en massacrant littéralement son peuple sans aucun questionnement, qu'il va paradoxalement prendre en considération en questionnement personnel. Une prise de conscience motivée par l'apparition soudaine de monstres, clairement liée à la subtilisation de l'artefact séculaire de cette contrée, qui firent disparaître l'ensemble de l'équipe de Cecil, alors Dark Knight. Emettant des doutes sur les bienfaits de son action face à son Roi au retour de son expédition, il se verra rayé à jamais de l'ordre auquel il appartient, sans comprendre pleinement les raisons de son renvoi. On se trouve par conséquent à ce point face à une réflexion que l'on expérimentera plus tardivement dans Suikoden 2, à savoir la fidélité à des principes, personnels ou imposés, que l'on estime justes, et pour lesquels on se fond dans une sincérité purement aveugle. En résumé, le souhait d'un cheminement vers un but, pas forcément répréhensible en soi, par des voies différentes et surtout assimilées pleinement par les personnes concernées. Complètement perdu, car privé d'un horizon conforme à sa volonté de bien-être, Cecil va opérer une scission spirituelle avec ses anciennes attentes afin de récupérer une légitimité d'existence. Néanmoins, cette quête vers un autre domaine va connaître un sursaut lui permettant de décliner avant de s'amplifier. Rejoignant son fidèle ami Kain pour une expédition rappelant à lui les vaporeuses essences de ses aventures passées, Cecil va être la proie d'une déchirure si ample et violente que son existence en sera bouleversée. En fait, les deux compagnons doivent emmener une bombe dans le village de Myst, afin de neutraliser un groupe de monstres belliqueux. Ne pouvant être rallié que par une grotte, ce dernier survit sous la protection d'un Dragon mythique, que Kain et Cecil vont exterminer sas états d'âme, méconnaissant son statut et son utilité.

Mais une fois parvenu au sein du hameau, les évènements différèrent de leur mise en forme première, et ce sont non seulement les créatures qui vont subir le souffle de la bombe, mais aussi les villageois, dans une hécatombe effrayante. Dans le même temps, une jeune fille nommée Rydia, et liée viscéralement au Dragon, tentera naïvement de mettre fin aux jours des deux assassins en armure sans y parvenir. Cet acte désespéré, lié avec la terreur de Cecil à la vue de la répercussion de ses actes, lui ouvre les yeux avec force et il décide immédiatement de s'occuper de la fillette, afin d'expier sa « faute ». Kain quant à lui, se repose sur ses ordres et sa hiérarchie, et quitte son ami avec lequel ses opinions diffèrent maintenant de façon trop imposante. Ils ne peuvent désormais plus avoir de contact sans dénaturer les rêves de l'un ou de l'autre. Une sorte de constat non dit basé sur la place que chacun occupe dans un univers construit autour de leur besoin d'affirmation. Coupé de son passé et des seules bribes qui s'y accrochaient, Cecil désormais oeuvrant de son propre chef, non soumis à des pressions amicales ou politiques, s'ouvre à une existence loin de ses considérations ayant pris les statuts de vérité. Mais en parallèle de l'existence conjointe de deux destinées antagonistes tiraillant son être, le héros va devoir faire face à un affrontement schizophrénique avec son ancienne personnalité, s'attachant comme une longue maladie à son cheminement vers un renouveau qui semble lui convenir. Semble effectivement, car dans un cas parfaitement et pleinement résolu, les ombres de son « moi » dispersé n'effleureraient pas sa conscience de la sorte. Annonçant FF 7, ce quatrième épisode, de par son parti-pris étonnamment complexe, mettant en exergue un personnage principal « humain », confronté à lui-même, et faisant preuve d'un désintéressement pour autrui beaucoup plus naturel que l'héroïsme perverti d'un Squall par exemple, fait un tant soit peu office de charnière profonde dans l'histoire de la série. D'autre part, et pour finir avec cet épisode, le joueur est pleinement convié à intégrer l'aventure par le biais du Kain, individu trompé et vaniteux, entrant en corrélation avec le spectateur dans son attitude envers Cecil.

Sûr de ses positions et prenant son compagnon pour un traître, il raisonne d'une manière analogue au joueur qui voit dans le Dark Night le symbole d'un univers vicié, incarné par un homme sans pitié et à la froideur consistante, sans aller au bout d'une mise à bas des réflexes mentaux surfaits et moralement ataviques, lui permettant de conclure à un simple conditionnement. On voit donc aisément que Kain contient également cette part d'humanité pétrie de paradoxes et fragile qu'il partage avec Cecil. Un bond en avant qui laisse de côté un épisode 5, aux ventes faramineuses mais à la profondeur nettement moins intéressante. Un peu comme le rapport entre FF 7 et FF 8 curieusement. Arrive par conséquent FF 6, véritable révolution narrative, et incarnation vidéoludique de la construction scénaristique. Proposant un trame riche et parvenant à équilibrer de manière subtile moments de bravoure et d'émotion, ce dernier Final Fantasy oeuvrant sur Super Nes se détache de sa lignée par la construction d'un contexte steam-punk risqué dans un style de jeu, le RPG, qui a encore du mal à se détacher de l'affection des joueurs pour l'héroic-fantasy. Dans le même ordre d'idées, l'ambiance assignée exhale une noirceur tentaculaire déstabilisante, déversant un froid clinique sur un univers dont le contexte fait écho sous certains aspects à nombres de conflits actuels. Dépeignant un monde entier soumis à la puissance militaire d'un empire autocratique, cherchant à installer une occupation étouffante dans le but de réduire au silence les dernières poches d'une résistance essoufflée, FF 6 appose sa loupe sur la personne plus que sur l'environnement. C'est en effet le seul lieu disposant encore d'une variété, d'une différence, dans un univers stérile et nivelé par les discours et les actes de l'Empire. Le décor planté se trouve dans le psychisme et les expériences personnelles des divers individus déambulant dans les tortueux méandres d'une quête autant intimiste que générale. On peut en effet voir la trame complète comme une sorte d'extériorisation ciblée des fantasmes et des angoisses de chacun. Une sorte de quête de rédemption, dans laquelle chaque intervenant cherche une place, une situation dans un univers impersonnel et déstabilisant qui noie l'être dans un flot de noirceur. De ce fait, l'émotion se revêt d'une dimension particulière et éminemment plus développé que dans les anciens opus. L'accent se voit accroché sur une plongée au cœur d'étapes ombrageuses, de démons intérieurs, gangrenant les existences et les esprits. Habilement distillées et scindées par un rebondissement de situation majeure, les destinées des protagonistes seront alors dévoilées dans leur cruelle solitude, plaçant chacun d'eux face à son histoire, dans le but d'une part d'évoluer et d'atteindre une paix qui ne peut être envisagée à l'extérieur. Comme explicité précédemment, les sentiments disposent désormais d'une mise en scène leur étant dédiées spécifiquement, prenant le temps de poser une ambiance, un contexte comportemental et psychologique, comblés habilement par une composition musicale en adéquation, permettant de pallier les carences en animations et au niveau de la fabrication de plans, impossibles à gérer en 2D.

L'épisode des retrouvailles de Setzer et de sa famille entièrement décédée, violent et cru de par le manque de témoins d'émotivité sur les visages et tout simplement l'environnement glacial et surtout dénué de couleurs, parvient à marquer émotionnellement de façon puissante grâce à la brutalité décrite ci-dessus, et grâce à la confrontation intelligente de deux situations analogues aboutissant à la même frustration, une lame de fond supplémentaire, rapide et sans fioritures. Malgré l'absence de mise en scène cinématographique, mais par le biais d'une simple réaction à visage humain, on se retrouve soudain dans une complexité sentimentale à l'évocation romanesque. C'est là une force insoupçonnée de ce titre, à savoir un degré d'implication sans scènes en images de synthèse, sans explosions apocalyptiques, mais doté de la présence d'un schéma réflexif cohérent et réaliste, parvenant à mettre en place l'exhalaison de sentiments divers et mêlés. De même, l'évolution générale du schéma scénaristique incluant personnages et situations, se montre d'une part axée vers une complexité constante, une quête vers des réponses dépassant le cadre de la confrontation face à un destin global, et d'autre part en direction d'une dramatisation exponentielle qui connaîtra un paroxysme notable, allié à un désir évident de perfection cyclique. Il apparaît donc que FF6, étonnamment mature et profond pour l'époque, fonde un socle solide et indubitablement serti d'une passion narrative et cohérente. Evidemment, le titre ne peut échapper à certaines errances dû à sa date de parution, à savoir des actions parfois trop appuyées, des ellipses un tantinet inadaptées à certaines situations, et quelques réactions inconcevables dans un déroulement logique de la trame. Néanmoins, on ne peut le définir par ce prisme, et il demeure encore aujourd'hui comme une sorte de réajustement, de filtre révélateur d'une fibre de l'imaginaire, d'une profonde envie de créer et de raconter une histoire sans la naïveté inhérente aux productions antérieures. La principale avancée est en effet une prise de risque majeure incarnée par le ton glauque et sans l'once d'un espoir inscrit dans une société informe et froide, relayée par la construction d'un passé. Effectivement, les divers intervenants se définissent par des évènements antérieurs, et se voit dotés d'un âge suffisamment propice à la mise en place d'une antériorité importante. On ressent réellement les marques, les stigmates aboutissant à un recul émotionnel, parfois douloureux, parfois heureux, mais bel et bien omniprésent et nécessaire. Le tout dispose d'un corps, d'un caractère, d'une matérialité.

Et l'évocation de cette consistance se répercute totalement dans ce qui sera l'aboutissement indubitable de la saga de Squaresoft, vecteur d'une quasi-révolution autant technique que scénaristique, à savoir FF7. Réunissant en son sein les avancées résultant du développement conjoints des aspects psychologiques et relatifs à la définition d'un univers, le premier épisode à voir le jour sur la Playstation bénéficie grandement des capacités de cette plate-forme en matière de 3D. Permettant enfin la mise en place des codes cinématographiques via la possibilité de disposer d'un arrangement des points de vue, et surtout à travers la réalisation de plans, le septième opus de Final Fantasy va apporter une profondeur immersive et émotionnelle encore inaccessibles à la dernière génération. Dans la continuité de FF6, ce dernier décante une atmosphère mécanique, crasseuse et pessimiste, au creux d'un contexte cyber-punk, plaçant la machine au-dessus de l'être dans un renversement des valeurs angoissant. Monde en complète déliquescence, la Terre vue par le verre dépoli de FF7 connaît une transformation radicale du fait d'une surexploitation de sa richesse interne, le Mako. Sorte de composante vivante et nécessaire à l'équilibre naturel de la planète, cette substance possède des vertus énergétiques telles, qu'elle devient rapidement l'unique source de création d'énergie des principales villes et hameaux. Génitrice de revenus rapides et aisés, elle se meut immédiatement en une possession à obtenir coûte que coûte, ce qui sera réalisé par un conglomérat tentaculaire du nom de Shinra. Cette société réussira d'ailleurs par l'utilisation de la force et du chantage à s'octroyer un monopole augurant deux conséquences dramatiques : D'une part l'appauvrissement écologique de l'environnement, et d'autre part la création quasi automatique d'une caste de hauts fonctionnaires, disposant d'un piédestal technologique et financier, reléguant les classes sociales désavantagées dans des zones d'habitations aux allures de bidons-villes, dans lesquelles se voient rejetées les déchets d'une industrialisation vociférante.

A suivre bientôt.............

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